Le gout des amours impossible

C’est en me souvenant du film « L’étrange histoire de benjamin Buton » que m’est venue cette question : Pourquoi les femmes sont-elles fascinées par les amours impossibles ?

Pour celles qui n’auraient pas vu ce film exceptionnel, petite remise à niveau : C’est majoritairement une histoire d’amour ; particulière puisque Benjamin né vieux, un bébé tout ridé et la courbe du temps de sa vie est inversée. Il rajeunit. Enfant, il rencontre une petite fille, dont il tombe amoureux et toute leur vie durant, ils se suivront. Ils vivent une passion juste et douce au milieu de leur vie, font un enfant mais Benjamin doit les quitter car bientôt, il deviendra une charge pour celle qu’il aime et il s’y refuse. Il les retrouvera au crépuscule de sa vie, alors qu’elle vieillit et qu’il rajeunis doucement.

Ce film m’a bouleversé. Alors certes, Brad Pitt, qui joue le rôle de Benjamin participe à cette fascination… Je suis sure que certaines d’entre vous comprendront mon trouble. Mais l’acteur principal n’en est pas l’unique cause, loin de là !

Les histoires d’amours impossibles fascinent depuis toujours et les exemples d’œuvres sur le sujet ne manquent pas. Orphée et Eurydice, Roméo et Juliette, Tristan et Yseult etc, etc, etc… Elles ne sont pas uniquement destinées à des midinettes en panne de romantisme et touchent la quasi-totalité de la population, même masculine.

Dans une vie, qu’y a-t-il de plus primordiale que l’amour au sens large ? Le but ultime de chaque être humain est l’amour. Je ne parle pas uniquement d’amour charnel (Eros) mais aussi d’amour filiale (Philae) ou spirituel (Agapé).

Je me suis demandé s’il en était de même dans toutes les cultures. Le gout de l’amour impossible concerne t’il la terre entière depuis la nuit des temps ? Un petit tour sur Google m’a vite apporté une réponse affirmative dont voici quelques exemples : Le mythe d’Ollantay chez les incas, de Celestin et Leila en Afrique, le Bouvier et la tisserande en Chine, etc. La terre entière semble sensible aux amours contrariées.

La raison qui nous invite donc à larmoyer sur les romans de gare n’est donc pas uniquement culturelle ou acquise mais innée, commune à tout homme. Qu’elle que soit notre culture ou nos origines, nous sommes toutes sensibles à cette souffrance ultime et déchirante : «j’aime et je ne peux pas vivre cet amour »

L’amour est en même temps la cause et le but de chaque être humain et ce, pour des raisons structurelles majoritairement.

Nous sommes des animaux sociaux et à ce titre, nous avons un instinct grégaire : l’autre est nécessaire pour notre construction et notre santé mentale. Pourtant, nous avons tous plus ou moins clairement conscience de notre solitude. Aussi forts soient les liens, aussi pures soient les amours, nous sommes dissociés, cherchant parfois vainement à retrouver l’état d’Androgynie de la mythologie. Cet être complet, à la fois homme et femme, avec quatre mains, quatre jambes et deux têtes peuple nos rêves et l’inconscient collectif, distillant dans le langage des expressions telles que : « mon âme sœur » « ma moitié »… Il semble donc que nous ayons cette nostalgie fantasmatique de l’époque où nous étions à la fois complets et pluriels, avec cette promesse merveilleuse : « Tu ne seras plus jamais seul. »

Nous vivons avec la sensation d’être amputés d’une moitié de nous-même.

Si l’homme est un animal social, ce n’est pas un hasard mais la conséquence de sa fragilité. L’homme primitif, qui n’avait ni crocs, ni griffes étaient particulièrement vulnérable. Le seul moyen pour lui de survivre était donc de vivre en groupe. Afin de maximiser les chances de survie du groupe, il fallait y préserver une relative quiétude et c’est ici que l’instinct grégaire prend forme. De façon instinctive et inconsciente, chacun trouve sa juste place dans le groupe social, lui permettant d’être à la fois utile et reconnus.

Le temps passe, l’homme évolue et il prend conscience à la fois de sa finitude (il est mortel) et de sa solitude (il meurt seul). Cette prise de conscience laisse évidemment un gout amer et l’être humain y répond par l’amour. Il crée l’idée de Dieux et il intensifie ses liens affectifs. Par ce stratagème, il gère son angoisse de la mort et son besoin affectif.

Reste la question du choix de l’objet de notre amour : Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Montaigne l’a très bien écris : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Il y a évidemment l’attirance physique et primale, l’envie de corps qui s’entrechoquent et qui s’emboitent dans une farandole de caresses et de baisers, mais pas uniquement.

L’autre est un miroir, il renvoie une certaine image de nous-même. Selons les étapes de notre vie, nous la souhaitons bonne ou mauvaise, là n’est pas la question. Les putes aiment les salops, les héroïnes aiment les adorateurs.

L’autre, cet être dissocié, est donc à la fois suffisamment différent pour exercer ma fascination et suffisamment semblable pour que je puisse m’y mirer. S’ensuit donc cette conclusion accablante : « L’autre est un chemin d’accès à moi. Quand je l’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ; c’est mon reflet qui se mire dans ses yeux »

Les histoires d’amour impossibles nous touchent donc bien au-delà de la culture, dans ce que nous avons de plus intime et de plus archaïque. Elles racontent l’incapacité à parcourir le chemin qui nous mène à nous-même, au-delà du manque, au-delà de l’envie. Les histoires d’amour impossibles nous touchent car elles mettent le doigt sur cette faille, prix de notre intelligence et de notre imagination.

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