Selfie star

Lorsque l’on parle de sujets de société, il y a les sujets graves où chacun tente de s’informer et de se positionner clairement par rapport à des valeurs personnelles et il y a les sujets légers, voire désuets qui n’invitent pas foncièrement à la réflexion, mais où chacun y va de son positionnement manichéen.

Ainsi, il y a les partisans du selfie, stakhanovistes de l’appareil photo et ses détracteurs, défendant l’idée que cette pratique est le symptôme d’une société superficielle et individualiste. Avec cet article, je vous invite à regarder le selfie sous un autre angle, celui du développement personnel.

Selfie : symptôme de l’individualisme moderne

Le selfie serait donc la marque d’une perte de valeurs nobles : altruisme et lien social, prépondérance de l’être au paraître, humilité… Ceux qui le dénigrent le jugent comme une pratique dégradante, la marque d’un narcissisme exacerbé qui trouverait sa source dans l’idéologie capitaliste, fondée sur la performance, la compétition et donc, l’individualisme.

Votre société est-elle parfaite ? Non, évidemment, mais force est de constater que les libertés individuelles n’ont jamais été aussi importantes et généralisée qu’à votre époque. Si l’on regarde l’histoire des civilisations, le joug politique et religieux ont fait des ravages et chacun devait se conformer aux règles tacites ou explicites d’une société d’esclaves et de nantis. Peu importait le talent, l’intelligence ou la motivation, celle qui naissait femme, celui qui naissait ouvrier ou paysan avaient un destin tout tracé, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Vos possibles n’ont jamais été aussi vastes. Que faîtes-vous de cette liberté si chèrement et récemment acquise ? Pas grand-chose de bien, je vous le concède, mais il faut laisser le temps au temps et j’ai foi en l’être humain qui saura tirer parti de cette transition technologique et sociétale.

Le selfie n’est qu’un des nombreux outils de cette transition et comme tout outil, il y a ceux qui l’utilisent avec courage, honneur et vertu et ceux qui n’y voient qu’un moyen pour assouvir leurs instincts, sans effort ni originalité.

L’outil « selfie » n’est pas mauvais en soi, c’est l’utilisation que nous en faisons qui détermine sa valeur.

Exemples :

Jessifer, 15 ans, limite anorexique, pose avec bouche en cul de poule et petite culotte dans le miroir de sa salle de bain. Elle a des centaines de followers sur un réseau social du type Instagram ou Snapchat et au fil du temps, elle se dénude, elle arbore des positions suggestives, bref, elle joue les trainées. Est-ce bon pour Jessifer de faire cela ? No comment.

Mathieu, 30 ans, beau gosse, poste des photos de lui partout. Mathieu au ski, Mathieu qui boit un coup, Mathieu au travail… Il utilise les applis de photos pour rentrer en contact avec des femmes. Ils tchatent, ils s’amusent, ils s’excitent. Mathieu est marié et pour lui, il n’y a pas de soucis. Sa femme ignore évidemment que parfois, il rencontre réellement ces femmes virtuelles et qu’il passe avec elles des moments coquins. Pour lui, tout ceci n’est pas réel et il n’a pas l’impression de « faire mal.» Est-ce bon pour Mathieu d’agir comme cela ? No comment.

Tamie, 25 ans, chanteuse, poste des photos d’elle à la plage, dans un avion, sur scène. Tamie est belle et un peu narcissique. C’est une reine du réseautage et elle compte 10 mille abonnés sur sa page. C’est un outil parmi d’autres pour développer sa notoriété, mais elle est ennuyée : pour avoir plus de followers, elle a le sentiment qu’elle doit montrer son corps et faire la promotion de son sex-appeal débordant. Au début, elle est timide, mais rapidement, elle se laisse prendre au jeu. Après tout, elles le font toutes alors pourquoi pas elle ? Elle pose finalement dans des positions lascives et éveille l’envie des plus libidineux. Un jour Tamie regarde sa page et elle se sent sale, dépossédée d’elle-même. Tamie doit-elle continuer dans cette voie ? No comment.

Il y a autant d’exemples que de comptes sur les réseaux sociaux et chaque cas est unique, pourtant, on peut distinguer des pratiques ou des motivations vicieuses ou vertueuses dans la pratique du selfie avec une question de fond : Quel est mon but, pourquoi je fais cela ?

Vous vivez dans une société où beaucoup de libertés individuelles ont été récemment acquises et vous êtes perdus face à l’étendue des possibles. Si l’on ajoute à cela l’accroissement fulgurant des technologies de communication, on en arrive forcément à de mauvaises pratiques. Vous n’avez pas été éduqués avec l’outil internet, vous apprenez donc par vous-mêmes avec des tâtonnements et des erreurs, des prises de consciences et des abus, ceci est humain et parfaitement naturel.

Il y a évidemment les pièges sous-jacents aux exemples de Jessifer (risque de porno alors qu’elle est jeune) de Mathieu (risque de détruire son couple pour des histoires de sexe) de Tamie (risques égotiques.) Ces risques sont déjà connus de tous, je passe donc à quelque chose d’un peu plus profond, la partie immergée de l’iceberg.

Conformité et désirabilité

Lorsque je me balade sur les applis du type Instagram ou Snapchat, je suis consternée par l’unicité des pages. Il y a des canons, des modes, des références auxquelles les gens se plient et il n’y a aucun questionnement en amont sur l’identité propre de la page.

Je reviens vers cette notion de libertés récemment acquises, car elles engendrent aussi une grande solitude. Les générations et les siècles passés offraient un sentiment fort d’appartenance. Les individus faisaient partie d’une communauté religieuse, sociale, voire politique. Aujourd’hui, ce phénomène se dissout, permettant à chacun d’être plus libre, mais aussi plus seul que jamais.

Le selfie devient alors un moyen comme un autre d’exister, d’être vu, de faire partie d’un groupe. Cela engendre une dépendance au regard de l’autre. « Je n’ai plus de valeur intrinsèque, je ne suis que la somme de mes likes et pour en avoir plus, je dois donner aux autres ce qu’ils veulent voir de moi.»

L’originalité se perd donc dans des considérations émotionnelles désuètes : « Pour être aimé, je dois jouer le jeu de la désirabilité et me montrer dans la norme. »

Désinvestir la vie réelle, se perdre dans son nombril

Ce petit jeu de dupe entre conformité et désirabilité n’est pas sans conséquence et peut désinvestir l’internaute de sa vie réelle. Il fantasme sur ce que les autres donnent à voir et il aime l’image sexy ou powerfull qu’il diffuse. L’écart entre l’être et le paraitre se creuse et il finit par avoir deux identités distinctes.

Finalement, le selfie addict peut en venir à rêver sa vie au lieu de la vivre concrètement. Ce pansement pour l’égo cache la plaie, mais ne la guérit pas, car les principes actifs de la cure ne sont qu’illusoires. Finalement l’égo est malmené tant l’image retouchée, filtrée, transformée n’est pas la réalité.

Lorsque la démarche est claire pour l’internaute, ceci n’est pas un problème. Le selfie pouvant devenir l’expression d’un personnage ou d’une fibre artistique, nous y reviendrons.

Mais quand l’être n’est pas clair, le paraitre n’a rien à dire et renvoie une image de vide, de conformité et d’uniformité. Vient alors une sorte d’escalade : « Pour ressentir plus, je dois en faire plus. » Plus trash, plus beau, plus fashion : plus conforme à cette société qui ne sait plus jusqu’où elle pourra pousser ses limites.

Une personne trop jeune, dont l’identité vacille, trop fragilisée peut alors se retrouvée dévorée par son identité virtuelle : Hyde a bouffé Jekhyll et ne laisse derrière lui que les lambeaux putrides d’une identité défunte.

RIP

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Le paraitre comme un outil d’être

Pourtant, s’il est bien géré, l’outil « selfie » est un formidable levier de développement personnel à plusieurs égards.

 La démarche

La seule véritable question qui importe vraiment est : « Pourquoi ? » Pourquoi vais-je faire des photos de moi ? Pourquoi ai-je cette envie ? Pourquoi je choisis de rendre ces clichés publics ?

Ce qui délimite la portée positive ou négative du selfie est la démarche que vous mettez derrière. La plupart ont une démarche primitive tournée vers le paraître : faire comme les autres (instincts moutonniers), diffuser une image fantasmée de celui ou celle que je voudrais être (besoin de reconnaissance), établir des contacts superficiels (besoin de distraction), etc. Ce qui les intéresse n’est pas la démarche concrète du selfie, fondamentalement dans l’être, mais l’effet que les selfie vont produire sur un entourage virtuel. Ils sont orientés vers le résultat, à savoir, le regard de l’autre dont ils deviennent dépendants à grand coup de Likes dans leur sphère intime.

Car le selfie à ceci de confrontant qu’il est l’expression de l’intimité. 

AfficheLorsque la démarche est consciente et claire, qu’elle n’a aucun objectif de résultat social, le selfie peut devenir un outil formidable de (re)conquête de soi tant il nous met face à nous-mêmes, dans un miroir conscient ; tant il peut devenir une base de création motivante qui permet de cheminer au fil des découvertes.

Nous sommes tous fascinés par notre image, certains l’assument et d’autres pas, mais ceci est un fait : nous ne vivons que notre vie et l’image que nous donnons à voir est importante à bien des égards. Devenir le sujet de sa propre création a quelque chose de captivant. C’est sûr, certaines « âmes nobles » s’éclatent en prenant des clichés de fleurs ou de coucher de soleil, de voitures ou de tatouages, d’assiettes bien décorées ou de sac à main et je ne dénigre pas ce choix. Mais soyons honnêtes, rien n’est plus confrontant que notre propre image et aucune fleur, aucune voiture, aucun sac ne posera autant de questions que votre propre visage.

Assumer sa féminité

Le mouvement féministe qui vous permet aujourd’hui de voter, de disposer de votre corps et d’espérer faire carrière n’a pas eu que de conséquences bénéfiques sur votre perception identitaire. La femme qui, au cours de l’histoire, avait marqué sa valeur par son corps ( sa beauté, sa capacité à procréer, les services rendus à la famille) se mettait à exister par son intellect et par ses idées. Le mouvement féministe a jeté le bébé avec l’eau du bain : ayant acquis le droit de penser et de diffuser sa pensée, la femme perdait de droit d’être un corps désirable. « Une femme intelligente n’est pas une femme superficielle et si tu fais trop attention au paraître, tu es forcement superficielle » Le sophisme est raccourci, mais vous avez l’idée.

Hors, l’estime de soi d’une femme passe en partie par le désir qu’elle inspire et donc, par son apparence. La femme moderne souffre donc de cette ambivalence de voix, des injonctions intérieures : «  je suis intelligente et singulière, je veux être reconnus en tant que telle, mais je suis aussi cet être instinctif et primal qui a besoin d’éveiller le désir et l’envie sexuelle. »

L’un ne retire rien à l’autre : on peut être une pute à la ville et une peintre à la campagne ; passez-moi l’expression.

Maitriser son image et améliorer ses relations

Reconnaitre vos besoins de séduction est un grand pas, mais quel est le rapport avec le selfie ?

C’est une pro du selfie qui vous le dit, vous pouvez vous surprendre et vous trouver magnifique. Il vous faudra veiller à la lumière, à l’angle, à l’expression du visage et à plein d’autres choses que vous pouvez découvrir par vous-même, mais au bout du compte, vous aurez les plus belles photos de vous que vous n’aurez jamais eues.

Avant d’en arriver là, vous allez suer sang et eau et c’est ce travail qui est intéressant, car il permet de mieux maîtriser ce que vous donnez à voir, cela vous invite à développer certaines postures et certaines attitudes.

La nature a bien fait les choses et souvent, nous aimons ce qui est beau, ce qui est élégant, ce qui est noble.

La pratique acharnée du selfie depuis un an m’a permis de renforcer mes forces féminines, trop longtemps délaissées au profit des forces masculines. Je connais parfaitement mon visage en colère, triste, joyeux, doux et cette connaissance me permet de directement influencer ma posture mentale. Disons qu’un être humain est un triangle avec : les pensées, les émotions et les comportements, le tout en interaction constante.  Lorsqu’on change consciemment le paraître (le comportement), on pense et on ressent différemment. Lorsque vous maîtrisez votre image, vous avez donc un levier d’action concrète et puissant sur vos pensées et vos émotions.

Ayant une image mentale claire et valorisante de certaines postures, ma motivation est renforcée pour les incarner le plus souvent possible.

Le selfie, qui au début était une souffrance tant je me trouvais décevante est peu à peu devenu un moyen pour apprendre à me connaitre différemment et à prendre le contrôle sur l’orientation que je souhaitais donner à ma vie en général.

Lorsque la démarche est claire et assumée, la pratique du selfie développe une attention constructive à soi : Qu’ai-je envie de dire aujourd’hui ? À qui je m’adresse ? Quelles idée ou émotion ai-je envie de matérialiser à cet instant précis ?

Cette attention à soi dans un égoïsme saint peut alors devenir une force pour être plus attentif aux autres ; pour diffuser, avec discernement et bienveillance, une bonne humeur et un enthousiasme sincère ; pour se positionner comme un être rempli et conscient, libéré de la peur du jugement des autres.

Alors, toutes à vos téléphones pour un petit selfie ?!

 

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