Regarde le, regarde le ce mec qui dort juste à côté de toi. Il a l’air de dormir paisiblement alors que toi t’es là à ravaler ta bile en pensant à votre tango. T’as jamais aimé danser hein, mais t’as toujours aimé les danseurs. Cette impression de contrôle sur leur corps, ça te donne l’impression qu’ils contrôlent leur vie un peu. Et toi, tu contrôles rien. Toi, tu te perds continuellement dans ton océan de solitude. Toi, à force d’aimer tout le monde autour de toi, tu n’as plus gardé assez d’amour pour toi. Alors tu danses, la seule danse que tu connais, avec des inconnus de passage. Et lorsque les grands danseurs ne sont plus que des hommes endormis, lorsque les draps sont froissés et que la danse est finie, tu reprends peur. Tu te sens sale et humiliée ? C’est toi qui l’a voulu ce tango. C’est toi qui a voulu sentir que tu comptais un peu pour quelqu’un, rien qu’un moment, encore une fois, une dernière fois. C’est toujours la dernière fois.
Alors, regarde le ce mec là qui dort encore. Regarde le, parce que peut-être bien qu’il n’est pas meilleur danseur que toi. Lui aussi il fuit. Lui aussi il ne connait que le tango pour échapper à son désert de solitude. Peut-être. Tu te rhabilles, tu pars. Sans un bruit, sans un regard. Tu rentres chez toi, t’arrêtes pour échanger quelques mots avec quelques échoués bien plus échoués que toi. Toujours à te comparer à la souffrance des autres pour trouver une nouvelle raison de te détester de te plaindre alors qu’ « il y a pire ». Il y a toujours pire. Mais est-ce une raison ? Tu te sens comme une donnée négligeable aux yeux des autres. Et si t’étais la seule à te négliger ?
Vas-y rentre chez toi, retrouver ton lit bien trop grand et bien trop froid. Tu te joueras un tango en solitaire pour te donner l’impression que t’as besoin de personne. Que tu contrôles. Tu contrôles rien. T’essayes juste de t’en persuader pour ne pas trop sentir cette solitude qui te bouffe.Tu te tournes vers les autres pour ne surtout pas penser à toi. Ca te fait trop mal hein. Travail avec des jeunes mineurs isolés qui ont besoin de papiers, bénévolat avec des enfants hospitalisés à longue durée, maraudes de nuit pour donner à manger, manifestations pour le climat… Tu trouves même du temps pour les chats des rues. Mais alors pour toi ?
Ne surtout pas repenser à ce mec là, on ne sait jamais, juste au cas où il aurait pu t’aimer. Ca fait trop peur.