Comme pour me rappeler la puissance de cette mécanique universelle, elle s’est incrustée là, faisant son œuvre, implacable. Çà faisait quelques temps que je sentais cette horloge marteler mon ventre de son impérieux désir de perpétuer la vie.
A chaque cycle à vrai dire, une véritable réflexion métaphysique qui s’engage dans quelques larmes. Douleur de tendre vers des objectifs trop lointains. J’imagine que je ne suis pas la première trentenaire « célibattante » à ressentir ça. Je suppose qu’inconsciemment, je voulais satisfaire cette injonction de la chair : laisser faire la nature, et vivre pour une fois le processus jusqu’au bout. Peu importe que mes rêves d’amours ne soient pas satisfaits, que mon rapport aux hommes soit détaché, trop indépendant. Le temps file, je cherchais un déclic.
Et bien j’y suis. Tu es là, mon cavalier sans tête, tu n’es plus le fruit de mon imagination, mon fantasme, ma peur surréaliste. Tu es un petit embryon, quelques cellules en pleines mutations. Et pourtant, aussi miraculeux sois tu, tu dois mourir.
Ne me juge pas trop vite, petite âme. Tu te doutais bien que je n’allais pas te laisser t’incruster comme ça, dans ma vie chaotique, sur une planète peuplée d’égoïstes, dans un climat d’apocalypse où tout peut nous péter à la gueule du jour au lendemain !?! Je suppose donc que tu as tacitement souscrit à cette finalité. Tu aurais mieux choisis ton heure autrement.
Pas la peine de t’excuser non plus. Je suis heureuse de te connaître. J’aime boire à cette source dans laquelle tu fusionnes encore. Pour toi l’Univers est vaste, l’amour est une force infinie, l’incarnation sur Terre est une option pour avancer dans ton voyage de lumière. Et des quelques impressions qu’il me reste de ma propre gestation, je peux comprendre que tu t’abandonnes à cette douce utopie que je puisse être ta mère. De ton point de vue, tout est possible.
De mon point de vue, il manque quand même un truc essentiel. L’amour du père. Déjà que ce n’est pas une mince affaire dans une famille « normale », imagines ce que ça donne en mode monoparental. Non, Non, Scénario résolument à la poubelle !
L’éducation est vraiment un point clé ici-bas, et je suis trop responsable pour livrer au monde un petit être carencé, en perte de repères, une proie d’autant plus facile pour les extrêmes de cette planète. Crois en mon expérience. La vie n’a pas été que tendre avec moi, malgré ses débuts très prometteurs.
Une différence notable entre nous, c’est que mes géniteurs essayaient déjà depuis plusieurs mois de me concevoir. J’étais réellement désirée, pas un malencontreux accident avec un presque inconnu, un soir de faiblesse. Moi je suis arrivée au moment où la France avait quelques espoirs de progression sociale, la rose à la main !
C’est le début de l’été, ma mère prend l’air dans une maison forestière du massif de l’Estérel au moment de ses premières contractions. J’ai dû les déclencher par mégarde, en me retournant un peu trop brusquement, en tout cas, ce ne devait pas être ma volonté ! Qui voudrait s’arracher à cet absolu. Je ne veux pas Etre, je veux rester là, dans cet océan de douceur et de paix, d’infini et d’amour.
Deux gros Forceps sont pourtant venus attraper ma petite tête chétive, pour me forcer à sortir de la caverne, à me séparer. Alors, tu vois que je ne te mens pas: ce monde est hostile. Je n’avais pas encore respiré mes premières bouffée d’air que l’on m’agressait déjà !
Tu me questionnes petite larve au moment le plus égoïste de mon existence, ce moment charnière où je fais le choix conscient de vivre mes rêves plutôt que de rêver ma vie. Bien sur, me savoir féconde n’entrave en rien mes projets. Au contraire, je te remercie de me rassurer. Mais je pense que ta présence naturellement envahissante ne me faciliterait pas la réalisation de mon rêve le plus cher, le plus vieux, et le plus intime : trouver mon Roi.
Puisque tu n’es pas soumis comme moi à l’ironie du temps et aux limites de l’espace, tu peux peut être comprendre mon besoin de réaliser cet idéal. Quel sens donner à la Vie si elle n’est pas issue d’un amour véritable ?