Lassée par les plaintes incessantes d’Hadès, qui beuglait comme à son habitude, contre les difficultés de gestion qu’impactait l’arrivage massif d’âmes au royaume des enfers, je décidais de m’accorder une petite pause, étendait ma divine plastique sur un immense sofa et visionnais une de vos créations modernes : « Microbe et gasoil. »
Quelle ne fut pas ma joie de constater que vous étiez capables à la fois d’originalité et de fraicheur ! Il faut dire que chez nous, la fraicheur… En dehors du département glacial réservé aux élites de la finance, aux actionnaires de quelques multinationales et aux avocats des crimes contre l’humanité, l’atmosphère est irrespirable. Passons !
Dans ce film, deux adolescents sont en marge, car ils sont différents, ils sont créatifs, ils sont merveilleux. Alors évidemment, les autres petits soldats qui ne demandent qu’à servir de chair à canon pour les élites de votre peuple les rejettent. Ceci est consternant d’ailleurs. Pourquoi érigez-vous en modèles ceux qui vous ramènent vers le fond ?
Soit dit en passant, malgré ma lassitude, je garde espoir que, de générations en millénaires, vous parviendrez un jour à choisir des influences dignes de vous et que la proportion d’âmes damnées se réduira en peau de chagrin. Allez, courage ! Ce film ne peut qu’y contribuer.
Microbe est petit et Gasoil aime la mécanique, mais pas que ! C’est aussi un philosophe en herbe, un comédien imaginatif, un petit génie de l’imaginaire. Les autres enfants sont agressifs envers eux, évidemment, ils chérissent tant la conformité qui rassure et qui promet de lendemains moroses et ternes.
« Les caïds des récrés sont les victimes de demain », nous dit Gasoil. Bien penser l’ami, si tu savais ! Ici, aux enfers, ils sont légion. De ces âmes sèches et vides qui n’ont passé leur vie qu’à grappiller quelques miettes de pouvoir sur ceux qui paraissaient plus faibles; ces ratés du quotidien ; ces handicapés de la pensée. Il semble d’ailleurs que la popularité des cours de récré se paye au prix fort à l’âge adulte. Étrange. Les divas de 5iémeB deviennent des rombières affublées de 12 enfants, les stars des cours de sports, des VRP serviles ou des agents d’assurances frustrés, les révoltées des pas perdus, des marginaux désœuvrés qui attendent patiemment le samedi soir pour s’envoyer un pack de bière : pathétique ! Ceux qui sont en marge par contre offrent souvent des destins plus personnels, à croire qu’il faut être rejeté très tôt par le groupe pour trouver l’élan à l’autosuffisance affective…
Microbe n’est pas en reste : « Les enfants ne sont pas responsables du bonheur de leurs parents.» Félicitation gamin, tu viens de gagner 10 ans de psychothérapie, allongé sur le divan fané d’un intellectuel blasé ! Combien n’ont pas encore compris cela à 40 ans ? Ils tentent, à grand renfort d’antidépresseurs, de maîtresses de passages ou de pot de Nutella, de remplir le vide béant laissé par l’impossible. Non, aucun enfant ne peut faire le bonheur de ses parents et plus tôt vous le comprenez, plus tôt vous pouvez déposer ce poids meurtrier sur le bord du chemin, continuer votre route léger et libre, ne cherchant que votre propre accomplissement.
Méduse me taxe parfois d’égoïsme, la sotte ! Elle croit encore qu’elle peut rendre le monde des humains meilleurs, elle veut encore se battre, se révolter parfois contre l’absurdité de vos décisions collectives. Elle refuse de comprendre qu’on ne lutte pas contre la loi du nombre et que le nombre ne regarde pas plus loin que les frontières de son nombril. Moi, je sais. Je les vois bien passer leur éternité à agoniser, à regretter leur veulerie, mais c’est trop tard pour ceux-là. Alors Hadès en à ras le couvre-chef, il aimerait partir en vacances, que vous ressembliez tous à Microbe et Gasoil, en charge de votre propre destin et prêt à faire ce que vous voulez vraiment.
Car au fond, il est là le secret de la bonté et de la vertu, faire ce que vous voulez aussi tôt que possible. Vous ne devenez pas mesquin, mauvais ou manipulateur quand très tôt vous comprenez que vous n’êtes en charge que de votre propre vie et que les autres ne sont pas des béquilles consentantes. Mais vous comprenez cela souvent trop tard, trop préoccupés à paraître et à plaire.
Euryale me trouve parfois cynique, elle a foi en vous, elle pense qu’il n’est jamais trop tard pour rattraper une âme en perdition. Je suis plus pragmatique et je sais que mon aide s’arrête là où commence votre liberté dérisoire de vous détruire.
Toutefois, je me dois de reconnaitre à mes sœurs le courage de vous aimer malgré tout. Une réplique du film m’a fait penser à elles. Microbe dit : « je ne veux pas être plus amoureux, je trouve que c’est une douleur noble. » Ce à quoi Gasoil, mon cher Gasoil répond : « Y a pas de belles douleurs. »
Tout est dit !