L’île des Magnifiques

Alors que les astrologues du monde entier prédisaient une année 2020 aussi régénératrice et pur qu’un nouveau cycle, l’humanité fut colonisée par un pétulant virus nommé Corona.

Sur l’île des magnifiques on observait d’abord de loin le phénomène, avec pour seul lanceur d’alerte un apache arborant fièrement ses peintures guerrières jaunes. Notre indien pratiquait l’alchimie avec tellement de ferveur, qu’il était capable de transformer la Russie en eldorado et Poutine en héros. Si ce Chaman au grand cœur a préféré sécher les cours de conjugaison et de grammaire pour fumer du H, sa générosité naturelle ne l’empêchait pas de vouloir avertir la communauté du danger imminent. « Je parle, donc je suis, et tant pis pour ceux qui n’arrivent pas à me lire ! » pouvait on l’entendre psalmodier gaiement. 

Quelque peu agacé par ce prophète en pagne, un chien loup aux yeux aussi bleu que son oiseau paradis sortit de sa tanière pour faire trembler la nuit de son hurlement primaire.« Ahouuuuwaf Cela suffit Cassandre ! Vas-tu donc te taire !? Les chiffres sont manipulés, il faut relativiser, ce n’est pas pire que la grippe. »

Et son oiseau chéri de surenchérir :

« Pourquoi donc faire autant de tapage ! Ranges ton tambour l’indien. Il y a tellement de menaces dont on ne pipe mot, pourquoi crois-tu que nous employons ainsi nos forces à construire cette île ! »

Ce qu’il faut savoir, c’est que ce couple hors norme dont on ne sait pas trop comment ils vont faire pour se reproduire sans casser des œufs, faisait office de sages sur l’île. Un respect tout naturel c’était instauré car ils furent les premiers à découvrir ce refuge en suivant les méduses sur les océans. Pendant ce voyage au long cours avec toute leur arche, l’oiseau bleu chantait comme un oracle l’imminente découverte d’une nature luxuriante, pourvoyeuse d’espoir et de poésie. Son ingénieur en chef très très méchant y accosta le premier et se mit à dessiner puis construire les ponts et les tunnels de leur nouvel imaginoir. A l’unanimité, ce refuge fut reconnu comme beau et confortable, au point que tout un bestiaire eu envie de venir s’y installer pour construire leurs utopies. 

A commencer par le Goéland fou qui fait ses rondes au-dessus de l’île depuis son émersion. Nous savons peu de chose sur ce drôle d’oiseau. Est-il le fantôme des Atlantes ? L’âme d’un poète esseulé qui s’est perdu à force de se laisser porter par les alizés ? Tout ce que nous pouvons observer est son plaisir à lâcher de temps en temps quelques fientes qui font rire ou réagir les mammifères en contre bas. Il aime aussi pêcher les étoiles et traquer les méduses, transformer d’innocents petits oiseaux sensibles et fragiles en monstrueux sangliers aux poils rudes et manger du pop-corn avec gourmandise devant les orgies de la Sex-ion. 

Seule la lune arrive à le dominer de son aura de mystère. Cet astre élégant et courtois tempère ces folies aériennes en éclairant leurs nuits de sa douce lumière. Parfois limée par la timidité, elle se cache derrière le nuage Nouka, ou détourne l’attention par une pluie de citronnade. Si dame la lune avait eu des bras, sans nul doute aurait-elle bercée le petit esquimau Kenny Mc Cormick pour le consoler de sa tentative de rébellion manquée. 

En parlant de ce DJ incompris venu s’échouer tardivement sur l’île, personne ne le sait, mais c’est un émissaire du cavalier sans tête. Il s’est donc tout de suite tapi avec d’autres créatures obscures dans l’ombre. C’est en effet depuis les galeries souterraines de l’île qu’il joue au poker en invoquant la quinte flush pour des rêves meilleurs. Il y a un panda mutant qui se prétend maître des cailloux, une blat pour faire le lien avec la surface et ramener quelques infos du roi, il y a même capitaine Jamaïque pour rouler des gros splifs de cannabis et enfumer la tanière. C’est la fête dans le bunker !

Mais ça c’était avant. Lorsque le confinement fut imposé à toutes les créatures de tous les mondes de la planète Terre, un air de révolution commença à gronder au sous-sol. « Quoi ? Plus de lumière, plus de nourriture, plus de liberté ? Aux armeeeeeeeeeeeeees !!!! »

C’est au Renard que la communauté doit la magnifique idée de ce printemps insurrectionnel. Coincé sous la terre avec sa maîtresse la blaireau-te, il s’improvisa justicier masqué, et brava l’interdit en sortant à la surface. Il savait pouvoir compter sur son éloquence pour émouvoir l’oiseau perché, aussi ne tarda-t-il pas à sermonner toute l’île sur l’extrême urgence d’organiser la solidarité. De quelques phrases malines, il dépeint les invisibles comme Hugo écrivait sur les misérables, avec beaucoup de compassion. On entendit pourtant au loin le Roi rugir, ordonnant à sa cour de châtier l’imposteur. « Depuis quand te soucies tu d’autre chose que de ton propre luxe ? Je te condamne à te confiner avec la Churinga ! Tel Sisyphe, tu dois me l’apporter en haut de la montagne. Ainsi tu apprendras ce qu’est la lutte ! »

Cocasse situation, puisque la Pierre gravée n’était pas seulement inerte et lourde, elle slamait ! Double peine pour Fox, qui n’arrivait plus à réfléchir sur ses options d’évasion. Il était enchaîné là, à voir pousser des fleurs par on ne sait quel terreau magique. Il se demandait d’ailleurs si ses amis des cavernes étaient toujours vivants, nombre d’entre eux étant devenus silencieux comme des tombes. Le virus aurait-il transformé une partie de l’île en zombi land ? Suspicion d’autant plus légitime que l’oiseau bleu avait la crève ; La pythie ne sachant pas garder silence trop longtemps, il était logique de penser qu’elle avait contaminé toute l’île à force de piailler. 

Il confia ses pensées à la Pierre, qui en frissonna d’effroi : « Nous ne laisserons plus personne derrière ! Camarade, changeons le logiciel, cassons nous de là ! Allons sauver les invisibles ! » Malgré toute sa bonne intention, il lui fallait l’aide de l’indien pour une opération alchimique … 

Heureusement, le Hasard passant par-là de temps à autre comme une brise légère, avait gonflé les voiles d’un bateau arrivé sur l’île quelques jours plus tôt. L’équipage se composait d’une infirmière pour colmater les tristesses comme une rustine, ainsi qu’une réserve de sang AB génétiquement modifié pour irriguer à tous les malades de la philosophie et du féminisme de grand-mère par intraveineuse. Il y avait aussi une rose aux parfums envoûtants pour essaimer des couleurs et de l’espoir dans le jardin, ainsi qu’une femme marin reconvertie en pâtissière pour distribuer des caramels, cafés et viennoiseries… de quoi adoucir les mœurs et motiver les invisibles à sortir de l’ombre pour se remplir la panse en toute sécurité sur le radeau hospitalier. Louise était là pour leur raconter des histoires aux 50 nuances de X. De quoi faire rougir Nouka le nuage qui ne put retenir quelques gouttes de citronnades.

Vous l’aurez compris, dans l’imaginoir, il n’y a pas de place pour l’ennui. Même l’austère Gaston, dont les rumeurs laissaient présager une belle carrière monastique sur l’île, étonna de fantaisie en inaugurant une galerie d’Art ! Les 57 Alain quant à eux, clones mélomanes on ne peut plus serviables, n’oubliaient pas d’honorer l’Ours, roi de l’île. 

Ce dernier n’avait pas attendu la quarantaine mondiale pour se confiner en haut de sa montagne, vautré sur un trône au fin fond d’une caverne. Il pensait bien sûr du haut de sa toute-puissance être à l’origine de ce choix. Comment aurait-il pu en être autrement, il était souverain dans son empire. Pourtant, la lune savait bien que cet isolement était le fruit d’un coup d’état savamment orchestré par le mystique EL. « Il ne manquerait plus qu’une addiction au Whisky vienne mettre encore plus de Chaos ! » se rassurait il à voix basse pour justifier son stratagème. En effet, il avait élaboré un plan diaboliquement génial : poster Julien R à l’entrée de la caverne sous l’insigne de garde royale, avec pour consigne d’interviewer l’Ours dès qu’il ferait mine de sortir le museau de sa grotte. Rien de mieux pour dissuader sa majesté de toute idée de grand air ! 

Pendant que le Roi sommeillait, aussi dynamique qu’un grizzli en pleine hibernation, son bouffon avait le champ libre. Las de traduire nos inconsciences par quelques rimes habiles, il s’enrôla dans l’armée des anges pour exhorter l’humanité à s’émanciper du système marchand. « Vive l’Anarchie » l’entendait on scander. 

Le chien loup et le renard venaient parfois se joindre à lui comme une symphonie. Dans ces moments rares et magiques, l’on pouvait observer au-dessus de l’île un arc en ciel, et pleins de petites méduses phosphorescentes consteller la mer d’infini. Émerveillée, toute l’île se lubrifiait alors pour laisser circuler une énergie spécifique, aux pouvoirs transcendants, souvent invoquée par sa majesté, que l’on nomme l’Amour.